Un ami me
confiait récemment son jugement : « pour aller en psychanalyse, il
faut manquer de projet (de désir) ».
Cette opinion tranchée renvoie à la
psychanalyse qui opèrerait du côté de la douleur, de la souffrance, et des
manifestations psychopathologiques lourdes.
Or, le désir est à l’œuvre. Comme le
désir ne se confond pas avec la satisfaction : la jouissance immédiate, il
est à l’œuvre en permanence. Ce n’est pas tant le manque de désir qui ouvre à
une cure ou une thérapie, mais plutôt le désir dans ce qu’il a d’insaisissable,
de pulsionnel, et aussi de refoulé. De ce que ce désir qui se heurte à l’autre et
donc, ça rate.

En étant du côté de la parole et du
silence, la psychanalyse opère par le symbolique. Du symbolique pour le patient
qui met des mots, analyse, fait advenir sa vision du monde, et met à jour son
désir propre. Un désir sans toute puissance : un désir du possible. Car
faire advenir tout son désir, ce serait entamer le désir de l’autre. On ne peut
jamais réaliser la totalité de son désir, car le désir c’est l’autre. L’autre fait désir, car son désir propre a
pour objet l’autre : celui ou celle que l’on veut honorer de son désir.
Or, l’autre n’est pas le même, la liberté de l’un va avec la liberté de
l’autre. C’est un principe de séparation irréductible.
Donc, une psychanalyse peut opérer de
différents côtés :
Pour ce que la vie compte d’épreuves qu’on
appellera « réel », interpréter ces épreuves, y prendre sa part de
responsabilité. Responsabilité n’est pas culpabilité, aussi prendre sa part de
responsabilité est y investir de soi et pas seulement de l’autre. Que l’autre
soit un conjoint, une famille, ou un grand Autre : le destin, Dieu, le
hasard… Prendre sa part de responsabilité est se réapproprier.
Mettre à jour son désir. Qu’il parle d’amour, de travail,
d’occuper sa vie et d’éprouver des affects, le désir opère à l’insu de celui
(celle) qui le porte. Le désir, c’est le manque, c’est-à-dire ce dont nous
sommes frustrés et qui nous fait rencontrer l’autre, aimer, créer, travailler,
faire œuvre. Et aussi : rater, répéter, laisser échapper, tenir à
distance. Et encore : haïr, refouler, enfouir… Et pour d’autres :
asservir l’autre à leur désir, transgresser les limites, se mettre en danger,
fétichiser le désir. Le désir n’est donc pas ce que l’individu croit qu’il a ou
accomplit, mais la cause de ce qu’il accomplit ou a. Une cause logée dans
l’inconscient « boîte noire » où s’inscrit notre vie depuis la petite
enfance.
La vision du monde. C’est ce que la sagesse populaire
appelle « le verre à moitié vide, ou le verre à moitié plein » pour
un même verre vu au même instant par deux ou plusieurs personnes. La vision du
monde, celui qui constitue une réalité [psychique] par les perceptions, les
représentations, les idéaux, la présence de l’autre et ce qu’elle suscite comme
fantasmes et projections, les objets du quotidien que l’individu fait siens,
auxquels il donne place et valeur, l’éducation et le cadre social transmis en
ce qu’ils donnent une lecture du monde et de l’autre.
Des symptômes. La question de l’amour et du rapport
au père, et de la figure patriarcale ancienne ont eu pour conséquence la
« bonne vieille névrose de papa », avec culpabilité, conflit entre
conformité et singularité, refoulement de la sexualité. Le glissement s’opère
vers de nouveaux symptômes qui rendent compte d’une injonction de la société à
performer. La peur du déclassement social, la perte d’une jouissance immédiate,
du sexe dégagé de l’amour et donc des affects, l’éclatement des familles et la
perte des repères de l’autorité engagent aujourd’hui de nouvelles demandes
thérapeutiques et de nouvelles observations cliniques.
Une psychanalyse du possible. Le patient trouve
en une psychanalyse une compagne qui n’encombre pas, ne discourt pas à la place
de celui qui exerce sa parole ; ne juge pas, et s’autorise à marquer une
limite, une séparation qui, justement, faisait défaut ; essaie d’établir
les faits pour réinterpréter les affects et la scène où, la répétition ramène
l’individu comme une laisse ramène l’animal à celui qui le tient.
Pourtant, une psychanalyse n’est pas
un idéal. Les idéaux de la psychanalyse et la recherche de pureté, c’est ce que
la psychanalyse véhicule de fantasmes, de fascination et de répulsion.
Une psychanalyse n’est pas un idéal,
c’est un possible.
L’analyste laisse une place
vacante : celle que le patient, ou « analysant » va occuper avec
sa parole. Il n’est pas dit par avance ce que le psychanalyste fera ou ne fera
pas, ce qu’il dira ou ne dira pas. Le psychanalyste écoute, ce qui peut être
perçu comme du silence par l’analysant. C’est une écoute du vivant, d’Un
vivant. Et la conséquence en est que l’analyste pose des questions, souligne, scande,
donne des encouragements, sourie, dit bonjour, respecte, parfois quand c’est
nécessaire, encadre, c’est-à-dire met un cadre quand ça vient à manquer, donne
des règles du jeu si le terrain éthique est vide ou creux, bref il y va d’une
relation entre deux comme entre eux deux.
Si le doute, les questions, la
souffrance et l’épreuve peuvent être au point de départ du processus, le
patient peut trouver plus tard du désir
d’analyse, c’est-à-dire ce moment de l’analyse où elle a produit une
transformation. Moment où la question n’est plus d’évacuer les symptômes, mais
où l’intérêt pour son auto-analyse ouvre à une élucidation du monde : le
sien, avec le désir mis à jour et ce que le monde autour peut en accueillir.
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